Habiller ses murs avec des créations d’ici
En emménageant avec sa douce dans sa première maison, Mathieu Hoste s’est mis à la recherche de créations pour habiller ses murs.
« Comme tout le monde, on s’inspirait de ce qu’on voyait sur Pinterest ou Instagram, mais dans les boutiques et les grands magasins, on trouvait les mêmes choses qui étaient accrochées dans le salon de mes parents et qu’on voit un peu partout dans le monde, beaucoup de photographies et de monuments d’ailleurs. Nous, on cherchait vraiment des œuvres d’artistes qui reflétaient les tendances actuelles. »
Mathieu Hoste songe à combler ce vide. Il fait son plan d’affaires, s’achète une imprimante de cinq pieds de large et consacre ses temps libres à son nouveau projet d’impression sur toile dans son sous-sol, hypothéquant du même coup la moitié de son domicile. Quand il perd son emploi un an plus tard, en début de pandémie, c’est à temps plein qu’il s’investit dans sa quête des toiles idéales : signées par des artistes d’ici, assemblées à la main dans des cadres de tilleul du Québec, renouvelées régulièrement pour garantir une certaine exclusivité et vendues à prix abordables.
Mathieu Hoste n’est jamais retourné au travail.
L’accès à une bourse, un passage à l’émission Dans l’œil du dragon et des ententes avec de grands acteurs comme Simons, Ameublements Tanguay et Must permettent à sa jeune entreprise de Sainte-Anne-des-Plaines de passer à la vitesse supérieure.
Depuis sa création, Oleka Canvas a expédié plus de 17 000 œuvres essentiellement au Québec. Elle vise l’Amérique du Nord et l’Europe dans un horizon de cinq ans.
Conduit de l’autre côté de globe par amour, le Suédois Erik Rydingsvärd s’est heurté au même obstacle après avoir rénové sa maison et s’être retrouvé avec un budget limité pour décorer son domicile. Les boutiques de décoration murale, nombreuses en Europe et au pays du géant de la déco, brillaient par leur absence au Québec. Il démarre Opposite Wall, qui fabrique ses affiches dans le quartier Mile-Ex, à Montréal. Son catalogue compte 3000 créations qui englobent la photographie, la peinture d’art, la typographie et l’illustration.
La directrice de création de ce studio de décor et de design, Rafaelle Chartrand, chapeaute à l’interne trois artistes qui génèrent 85 % de la production d’Opposite Wall. D’autres artistes s’ajoutent à la pige selon les besoins et les tendances du moment.
Chaque mois, les créatrices se plongent dans un nouvel univers pour générer des créations uniques dans une gamme de styles variés.
« La prochaine collection du studio sera faite d’images abstraites, révèle Rafaelle Chartrand. J’explique ma vision aux artistes et leur indique les médiums que je veux voir – que ce soit de l’aquarelle, du collage, du plâtre – et la palette de couleurs choisie. » Les créations sont ensuite numérisées. La direction donnée aux collections s’inspire des tendances actuelles ou à venir, relevées sur des sites comme Pinterest, Behance et les boutiques des concurrents européens.
« Pour des sujets plus précis, on regarde ce que les gens veulent. Le mot “Matisse”, par exemple, est sorti souvent dans les moteurs de recherche. On a donc fait une collection pour répondre à cet intérêt. »
— Rafaelle Chartrand, directrice de création chez Opposite Wall
Chaque mois, Opposite Wall lance ainsi une vingtaine de nouvelles affiches. Régulièrement, certaines œuvres sont remises à jour dans de nouvelles teintes pour s’arrimer aux couleurs en vogue.
La majorité des œuvres de ces deux entreprises sont créées à l’ordinateur ou retravaillées numériquement. « Ça permet d’imprimer de très grands formats en conservant une qualité parfaite. Les œuvres sont également facilement personnalisables, précise Mathieu Hoste. Un client veut du vert plutôt que du mauve ? On retravaille l’image. » L’entreprise manufacture à la pièce, à l’instar de ses concurrents d’ici, ce qui lui permet de s’ajuster à la demande, de personnaliser son offre, de limiter les pertes et son empreinte écologique du même coup.
Graphiste depuis 20 ans, Anne-Sophie Perreault, alias Toffie, a commencé à créer des affiches à son compte il y a six ans, comme exécutoire et faute d’en trouver à son goût. Elle est aujourd’hui représentée par Oleka Canvas, Opposite Wall et une boutique au Brésil qui lui offrent une visibilité et s’occupent de gérer la production et l’expédition de ses créations, en échange de redevances sur les ventes. Elle crée sans démarche précise, dit-elle, mais puise une bonne partie de son inspiration dans le mid century et prend des commandes spéciales à l’occasion. « Souvent, les gens m’envoient des photos des pièces à décorer et je pars de ça pour créer en collaboration avec le client. »
L’exclusivité des œuvres offertes dans les boutiques de décorations murales qui émergent au Québec varie de l’une à l’autre.
La maison d’édition Paperole renouvelle son catalogue deux fois par année avec de nouveaux artistes, essentiellement locaux. Son catalogue comprend certaines créations en édition limitée, numérotées et signées. Quelques originaux aussi. C’est le cas aussi pour la galerie-boutique Bref, qui fait évoluer sa sélection d’art mural chaque mois grâce à ses thématiques. « À la base, Bref a vu le jour parce qu’on avait beaucoup d’amis illustrateurs qui avaient du mal à présenter ce qu’ils faisaient et ce qu’ils étaient », indique l’une des deux fondatrices, Cynthia Moreau. « On a voulu faire connaître leur travail. »
C’est aussi pour s’assurer que les artistes aient accès à de bonnes conditions de travail et puissent faire rayonner leurs créations que l’agente d’illustrateurs Élisabeth Pelletier a racheté la galerie d’art en ligne Sur ton mur. Les giclées d’art qu’elle propose, d’une qualité muséale qui les distingue de l’affiche, permettent aux créations de vivre au moins 100 ans. « On considère que nos reproductions sont des œuvres d’art à part entière et encore plus pour les éditions limitées », note la directrice qui compte entre autres Rogé, Cathon, Michel Rabagliati et Élise Gravel dans son giron.
Qui se retrouve face à un mur au moment de décorer son logis a manifestement de moins en moins d’arguments au Québec pour ne pas savoir le garnir. « Sans être des œuvres d’art uniques, pointe Mathieu Hoste en référence à ses toiles, ce sont des créations d’ici fabriquées par des artisans d’ici... qu’on risque assurément moins de retrouver ailleurs que le fameux pont d’IKEA ! »